
SOUS L'ANGLE DES QUALITÉS URBAINES DÉFINIES PAR BENTLEY
ANALYSE DU PROJET
Critères appliqués au quartier de Keldur
Projet par FOJAB + Ramböll
Le manuel Responsive Environnement (1985) de Ian Bentley est une critique de l’architecture et du design moderne. L’auteur soulève que ces disciplines font peu d’effort pour réfléchir sur les implications de la forme et les contraintes qu’elles imposent aux usagers. Il définit alors sept critères essentiels permettant de concevoir des espaces urbains performants.
Parmi ceux-ci, la perméabilité, la variété et la lisibilité sont les trois critères sélectionnés. Ce sont ceux qui correspondent le mieux, selon nous, à l'analyse du projet de Keldur et se lient au cadre théorique exploré en amont.



PERMÉABILITÉ
VARIÉTÉ
LISIBILITÉ
Le développement de Keldur a pour objectif de former un nouveau quartier vibrant et créatif afin de reconnecter la partie nord et la partie sud du district de Grafarvogur. Il se bâtit autour d’un axe principal de transport en commun, le Borgarlinà Line, agissant comme une colonne vertébrale pour Keldur. Le site de 284 acres est délimité au nord par des lots résidentiels, à l’est et au sud par l’autoroute 49 ainsi que des immeubles à fonctions mixtes et, à l’ouest, par la baie de Keldur. La proposition s’inscrit dans une dent creuse de la ville et propose de réconcilier la nature, la culture et la vie urbaine par un projet de développement dense et à l’échelle humaine.
Le district de Keldur se divise en 3 phases, la Station du Canal, la Station de la Colline et la Station de la Rivière. Chacune comporte des caractéristiques distinctes permettant une transitions graduelle entre les espaces récréatifs et les paysages naturels. Afin de faciliter la compréhension, chacun des critères sera analysé à l’échelle de l’ensemble du quartier et pour chacune des stations.

Zone de développement de Keldur
© FOJAB + Ramböll, Crafting Keldur

BORGALINÀ LINE
Division des stations le long de Borgalinà
© FOJAB + Ramböll, Crafting Keldur
Perméabilité
Définie comme le nombre et la qualité des chemins permettant de circuler dans un environnement. Une bonne perméabilité augmente la liberté décisionnelle de l’usager, car celui-ci peut seulement choisir un lieu auquel il a accès.
Critère appliqué au quartier Keldur
Le quartier est conçu de manière à améliorer la perméabilité à l’échelle de la ville, en créant trois stations principales supplémentaires entre le secteur nord et le secteur sud de Grafarvogur. Chacune des stations divise l’ensemble et assure une perméabilité transversale entre le secteur récréationnel (nord) et le secteur paysager (sud). Cet ajout permet de refermer la dent creuse dans la ville et d'augmenter l’accessibilité avec les districts adjacents.
À l’intérieur du quartier, les déplacements sont réfléchis sur la base des transports en commun et transports actifs (TOD), les différents îlots étant tous desservis par des accès piétons ou des voies cyclables. La distribution de ces accès met de l’avant la densité « juste » du quartier (Baldea et Dumitrescu, 2013). Par cette disposition, les concepteurs définissent les espaces à caractère public ou privé, permettant adéquatement de réduire ou de favoriser les interactions sociales dans le quartier.

Stratégies de mise en valeur des points de vue
© FOJAB + Ramböll, Crafting Keldur
Station du Canal

La Station du Canal s’implante dans la partie la plus au sud du quartier. Elle se définit par l’intégration de l’eau comme signature. Selon Bentley, la perméabilité est améliorée par une morphologie d'îlots plus petits, qui offrent un plus grand nombre de chemins alternatifs. Cette station serait alors la plus perméable du quartier. Elle propose des îlots ouverts, diversifiés et décalés qui offrent un sentiment de protection. Ceux-ci permettent également une accessibilité piétonne variée ainsi que de nombreux chemins alternatifs traversant les cœurs d'îlot. La dimension exacte des îlots est variable, mais propose une excellente traçabilité. Toutefois, Bentley souligne que la perméabilité peut être réduite par la séparation des utilisateurs (piétons, véhicules, cyclistes). Dans le projet, nombreuses voies sont réservées aux déplacements actifs, ce qui réduit effectivement la perméabilité en voiture. Comme l’explique Bentley, cette ségrégation pourrait à long terme causer une duplication coûteuse des voies d’accès afin d’offrir aux automobilistes une meilleure accessibilité.
Station de la Colline

De son côté, la Station de la Colline se différencie des autres par son intégration avec la topographie du site. Selon la définition de Bentley, celle-ci offre une moins bonne perméabilité que la première en raison de la morphologie des îlots qui sont légèrement plus grands. Toutefois, chacun d'eux offre un accès traversant pour les piétons, permettant ainsi aux usagers de passer par le cœur pour joindre les espaces communs. Ces espaces qui émergent entre les îlots sont ainsi très bien desservis en plus de proposer une multitude d’accès intéressants. On remarque aussi la même séparation des utilisateurs que dans la Station du Canal, ce qui selon Bentley, n’est pas idéal pour la perméabilité du quartier.
Station de la Rivière

La Station de la Rivière est celle qui, parmi les trois, propose la moins bonne perméabilité. Celle-ci se définit par de magnifiques vues s’ouvrant vers le panorama, mais propose une majorité d'îlots entièrement fermés, se distribuant sur 4 à 6 étages. En revanche, la proximité ainsi que et la distribution offrent un bon nombre de parcours alternatifs visibles permettant aux usagers du territoire d'accéder aisément aux espaces publics et privés. Les îlots sont réfléchis de façon à assurer une densité « juste » (Baldea et Dumitrescu, 2013) dans le district, s'adaptant adéquatement aux besoins d’intimité et d'interactions communautaires des usagers. Les interfaces physiques qui distribuent les devantures et les cours arrière sont clairement identifiées, permettant une définition qui selon Bentley « donne aux utilisateurs sans compromettre le caractère public de l’espace public. » (Bentley, 1985)
Variété
Représente la facilité à comprendre l’agencement entre les chemins (perméabilité) et les destinations (variété) dans un environnement donné. Il s’agit ici de définir la fluidité des lieux ainsi que sa nature (publique/privée).
Critère appliqué au quartier Keldur
La variété du quartier de Keldur est l’une des préoccupations principales des concepteurs afin d’offrir un quartier durable avec des services à proximité. L’objectif premier est de distribuer les différents éléments pour que chaque district ait facilement accès à une variété d’usages (Bentley, 1985) tout en conservant son caractère distinctif. Ainsi des hub culturel, scientifique ou récréationnel de taille variable se distribuent dans chacun des districts. Le plus important se retrouve autour des stations de tram comme il accueillera un plus grand flux de personnes. Ces hubs interagissent avec les îlots adjacents et offrent une variété d’usages institutionnels, résidentiels et commerciaux. Le quartier de Keldur vise une variété qui persiste dans le temps, ainsi une réflexion est portée sur l’adaptabilité (Schmidt et Austin, 2016) des structures. Chacune des structures proposent une taille et des mesures pouvant s’adresser à des usages variés, permettant une ajustabilité et une polyvalence (Schmidt et Austin, 2016) dans le temps. Dans son ensemble, le quartier propose des environnements différents d’un district à l'autre, améliorant la variété de choix (Bentley, 1985) par des typologies, des formes et des caractères de bâtiments différents qui peuvent correspondre à un large éventail de personnes.

Interactions entre les éléments
© FOJAB + Ramböll, Crafting Keldur
Station du Canal

Le District du Canal, comme les autres districts, propose une école adjacente à un centre sportif et à la station de transport actif / en commun. Cette situation permet aux usages ci-avant d’être bien desservis en plus d’améliorer la qualité de vie en encourageant les déplacements actifs. Bien que chaque district offre une bonne variété d’usages, ils ont chacun une spécialisation due à la spécificité de leur site permettant d’accentuer le caractère du district et de le connecter avec les secteurs qui lui sont adjacents. Comme mentionné, le district du canal est conçu avec l’eau comme élément central, ainsi les usages proposés traduisent cette identité. On retrouve, entre autres, la piscine écologique, un pavillon de l’eau qui combine l’art et les sciences et une tour d’observation du lac. Cette disposition réfléchis des usages artistiques et scientifiques accentue la force de la variété d’usages en permettant aux usages de se soutenir mutuellement. (Bentley, 1985). Selon Bentley, certains usages primaires ont le pouvoir d’attirer les gens sur le site alors que les usages secondaires bénéficient de cette attraction. Ici, la piscine et les écoles pourraient être considérées comme des usages primaires qui permettent aux attractions scientifiques de moins grande envergure de bénéficier du flux piétons.
Station de la Colline

La station de transport en commun du District de la Colline se distribue sensiblement de la même façon que pour le district précédent, c'est à moins de 100 mètres d’une école et près d’un centre sportif. Cette proximité permet un support mutuel, comme mentionné précédemment, ayant un grand pôle attracteur qui attire la population. De son côté, le district se définit par sa topographie et propose une variété d'activités intéressantes. Entre autres, une piste de ski de fond, des espaces commerciaux et à bureaux ainsi que des logements. L’accent est davantage porté sur les innovations en matière de plantation d’arbres et d’aménagement paysager permettant un accès universel. Ainsi le district offre une variété d'espaces extérieurs intéressants et s’approche d’une densité juste par la disponibilité et la qualité des installations nécessaire à la routine quotidienne (Baldea et Dumitrescu, 2013). Celui-ci répond aussi très bien à l’élément de temps du concept de variété défini par Bentley (1985), comme la plupart des espaces de travail et les habitations sont dans un même lieu. Cela qui permet au gens d’optimiser leur temps tout en contribuant activement à la vie commerciale du quartier.
Station de la Rivière

Finalement, le District de la Rivière propose une variété similaire aux districts précédents en ce qui concerne le pôle des transports en communs. Toutefois, les infrastructures se concentrent davantage sur la recherche et les études supérieures. Ces plus grandes infrastructures sont situées à l'extrémité nord du projet, ce qui crée un nouveau pôle d’attraction pour les habitants de Keldur, mais aussi les résidents du nord de Reykjavik. L’adjacence entre des usages compatibles , comme l’Université et des commerces de proximité, tel des “workshops”, des services sociaux ainsi que des magasins, reflète une faisabilité fonctionnelle qui renforce la diversité des usages (Bentley 1985).
Lisibilité
Représente la facilité à comprendre l’agencement entre les chemins et les destinations dans un environnement donné. Il s’agit ici de définir la fluidité des lieux ainsi que sa nature publique ou privée.
Critère appliqué au quartier Keldur
Selon l’ouvrage Responsive environnement, les 5 éléments essentiels à la lisibilité sont les noeuds (nodes), les limites (edges), les parcours (paths), les districts (districts) et les symboles (landmarks). Le projet Keldur offre très clairement 3 des 5 éléments, ce qui améliore grandement la lisibilité de l’ensemble. Comme mentionné précédemment, le quartier de Keldur propose un parcours mère (Borgalinà) qui, selon Bentley, est l’élément le plus significatif en termes de lisibilité. Ce parcours relie 3 stations de transport en commun qui agissent comme un nœud attractif. Cette attraction est, d'une part, optimisée par la position stratégique des stations sur le trajet ainsi que leur fonction en relation avec le parcours mère et, d'autre part, par les éléments de programme qui lui sont adjacents.
Pour Bentley, afin d’avoir une lisibilité efficace à l’échelle de la ville, chacune des stations doit être facilement reconnaissable. C’est le cas ici pour le projet du quartier Keldur, qui attribue des caractéristiques selon l'emplacement naturel, soit le canal, la colline et la rivière. Ces caractéristiques permettent aux concepteurs de donner une identité différente à chacune des stations (districts). Toutefois, il souligne aussi l’importance d'une bonne lisibilité interne.

Coupe transversale de la rue Borgalinà
© FOJAB + Ramböll, Crafting Keldur

Coupe transversale d'un station de Borgalinà
© FOJAB + Ramböll, Crafting Keldur
Station du Canal


L'eau comme symbole
© FOJAB + Ramböll, Crafting Keldur
Station de la Colline


La topographie comme symbole
© FOJAB + Ramböll, Crafting Keldur
Station de la Rivière


La science comme symbole
© FOJAB + Ramböll, Crafting Keldur
Les deux autres éléments qui intéressent Bentley en ce qui attrait à la lisibilité sont plus difficilement perceptible à l’échelle du Quartier, mais sont présents dans les différents districts. Le premier est le symbole (landmark), qui est, selon l’auteur, un point de référence dans le quartier le plus souvent vécu de l’extérieur. Il ne s’agit pas nécessairement d’un lieu construit dans lequel on peut entrer. Pour la Station du Canal, l’un des éléments symboliques pourrait être la piscine écologique. Par son architecture, cette construction est facilement reconnaissable et devient aisément un point de repère dans le paysage urbain. Le second élément qui participe à la lisibilité est les limites (edges). Ici, l’auteur s’intéresse aux éléments, autre que les parcours, qui aident à établir la définition de la périphérie du district. Il s’agit du point le plus faible du projet en matière de lisibilité. Les concepteurs ont fait le choix de ne pas définir de limites entre les districts autres que par la morphologie et l’identité dégagée par le quartier. Cette décision peut mener à une lisibilité plus faible des différents districts.
La Station de la Colline, comme elle s’inscrit dans une topographie plus escarpée, nécessite une plus grande réflexion en matière de lisibilité. Les concepteurs portent, entre autres, une grande réflexion sur l’aménagement des parcours de façon à conserver une densité perçue invitante pour la population de Reyjkavik. Ainsi, les hauteurs des bâtiments le long des parcours se maintiennent autour de 4 à 6 étages et s'adaptent à la topographie. On voit apparaître des bâtiments de plus ou moins 16 m le long du Borgarlina line (largeur 25m) ce qui favorise la lisibilité en offrant le rapport idéal défini par Bentley de 1.5:1. On s’intéresse aussi au rapport entre la largeur des terrasses et la rue, ce qui permet la lisibilité des espaces publics et des lieux de déplacement. La station de la colline se concentre principalement sur l’aménagement de place extérieur et la connexion avec la nature et propose de nombreuses grandes places extérieures en bordure des routes. Les grandes places, allant de 4 à 7m de largeur, ne sont jamais combinées avec des rues d’automobiles larges. De cette façon, un rapport de hauteur intéressant, tel que défini par Bentley, avec les bâtiments adjacents de plus petit gabarit (12m) est conservé dans l’ensemble du district.
La station de la rivière se lie de façon similaire aux deux autres districts en offrant des rapports hauteur/largeur optimaux le long des parcours, en plus de proposer un nœud commercial près de la station de transports. Cette station qui se définit par sa proximité à la rivière a l’avantage d'offrir une limite claire au nord-est, ce qui améliore la lisibilité selon Bentley (1985). On utilise aussi cette proximité avec la limite de l’eau pour créer des aménagements qui pourront servir de symbole dans le district, notamment des installations d’observation de la rivière qui servent aussi de bains de sources, ou le centre des visiteurs scientifiques qui, par son architecture, rappelle l’Éco-pool du district du canal.